La famille Cecen a Kiziltepe - Kurdistan - Turquie

Impossible de resumer en quelques mots notre rencontre avec la famille Cecen de Kiziltepe, ville a 25 km de Mardin au sud de la Turquie, tant nos journees passees avec eux ont ete denses! Leur hospitabilite extraordinaire a fait de nous des membres a part entiere de la famille pendant notre sejour parmi eux…

Une hospitalite debordante

Nous avons ete recues par la famille de Sinasi, frere de Suud... Son epouse Gulumsser a ete infimiere pendant des annees et est maintenant a la retraite. Ils ont trois enfants : Esra, 18 ans, Osgur, 15 ans, et Memet Halil, 13 ans. Notre premier contact a ete avec Esra, qui nous fait la meme impression qu'une ado de Paris avec son jean serres, ses cheveux frises... Jeuns' cool, mais sans decollete!   

Arrivees chez les Cecen, nous appercevons d'emblee l'ordinateur avec un msn rose dans la chambre d'Esra! Gulumsser a un aspect moderne de femme active et Sinasi rentre vite de sa journee de travail dans un costard impeccable : Nous sommes face a une famille bien dans son temps! Le contraste avec la vie au village en sera d'autant plus saisissante.

Au fil de la fin d'apres-midi d'autres membres de la famille rentrent, ponctues d'une sonnerie de porte motzartienne. Halil, le plus jeune fils, malicieux comme tout, qui a recu le nom de son grand-pere comme symbole de sa destinee de futur Ara... Puis Osgur, le fils cadet, qui nous apparait vite comme ayant un petit probleme d'autisme, mais dont nous ne pourrons parler ouvertement avec la famille... Enfin Metin, dit "Beto" d'apres une serie tele que sa mere regardait pendant sa grossesse, le plus jeune frere de Sinasi, et donc oncle de Esra, Osgur et Halil du haut de ses 17 ans! Bien qu'au debut timide et peu bavard, ce sera lui notre veritable ami et interprete durant notre sejour a Kiziltepe...

Le systeme social calque sur la structure familiale

Au Kurdistan la famille regne en maitresse! Le fonctionnement meme de la region reprend le schema familal comme exemple: les kurdes ont censerve un syseme feodal (mais bien plus egalitaire) Qui regle localement tout litige, evitant ainsi au maximum d’avoir recours aux tribunaux turcs. Les villes et villages sont regroupes en Ashiret (souvent par clans familiaux) et chaque ashiret est regi par un ara (Chef de clan) vers qui les membres de l’ashiret se retournent pour regler tout probleme.

La loi de l’ashiret prevoit tout et souvent l’anciennete prime en cas d’ambiguite. Chaque annee, les membres donnent une dime proportionnelle a leur richesse, le plus souvent en nature, qui est ensuite redistribuee par l’ara en tout cas de neccesite, ou lorsqu’une famille est en difficulte.

Sinasi, notre pere de famille, est l’ara de plusieurs villages dont quelques-uns sont situes au dela de la frontiere syrienne. Il a herite de cette fonction de son pere, Halil, et c’est son plus jeune fils, Memet Halil, 13 ans, qui en heritera a son tour. La famille subvient a ses besoins grace aux terres cultivees aux alentours du villages, et Sinasi n’est pas paye pour sa fonction …

Un village familial

La famille est ici omnipresente : Halil, le grand-pere aujourd’hui decede eut deux femmes: Sakine (12 enfants) et Menifa (8 enfants)… Entre eux, les cousins, et les cousins eloignes, c’est une reelle dynastie Cecen qui habite la region!

Au village de Hamon, chacune des meres a son fief, repris par le fils aine reste au village. Sinasi a choisit d’habiter a la ville de Kiziltepe a 20 min du village, mais s’y rend pour travailler 2 a 3 fois par semaine. C’est la, dans le bureau de son pere, qu’il recoit les litiges. Lors de notre sejours, nous le voyons constament partir accueillir des visiteurs venus d’Istanbul, de Syrie… Il assume un role de representation tres important pour les interets de l’ashiret.

Dans la maison de Menifa, la mere de Beto, alitee lorsque nous lui avons rendu visite, Tahsin est le maitre de maison. Personnage sorti tout droit de Dallas, il y vit avec sa propre famille (4 enfants en bas age), son petit frere, sa jeune soeur mariee nouvellement enceinte dont l’epoux est parti travailler en Irak, ses plus jeunes soeurs celibataires, ses neveux orphelins etc… C’est le chauffeur de la famille, il accompagne Sinasi dans tout ses deplacements avec son van tout neuf!

Une petite mosquee jouxte la “maison du mollah” dont nous avons apercu l’ombre de la femme en arrivant… le soir lorsque nous nous esclafons de rire avec Beto dans le village, il nous pointe du doigt la maison “Chut! On va reveiller le mollah!”

Une autre maison appartient a Mustapha, a la folie douce, devenu fou d’avoir lu trop de livres nous dit-on. Communiste obsessionel, il babille des bijoux d’incoherence ponctue d’eclats de rire de l’assistance… et ce devant sa fille de 10 ans qui s’ecrit “Baba! Shhh! Baba !” des larmes de honte dans les yeux… Moment emouvant, nous aimerions tant lui dire a quel point son pere est attachant… Mais dans les yeux d’une petite fille, la faiblesse d’un pere est impardonable.

La famille, lien avec l'exterieur

Depuis Hamon et Kiziltepe, l’absence rend encore plus present a l’esprit des Cecen les fantomes des oncles partis en France, en Irak, en Azerbaijan. Ces oncles poursuivent la pensee progressiste de Halil, qui croyait a la neccessite de diplomes pour ses fils, bien qu’il n’ait lui-meme pas ete a l’ecole. Ces oncles dont les photos sont partout forment un clan parrallele a Paris. Fierte aussi pour leurs talents, comme les deux jeunes freres, Sedat et Alijan qui jouent ensemble de la musique dans leur temps libre. Tout le materiel ordinateur, camera, vient de ces oncles : c’est cette famille au loin qui est leur principal lien avec le monde exterieur…

Avec ces nombreux enfants, il s'est cree un decalage important de generation, ce qui fait que par exemple Esra est plus agee que son oncle, Beto, l'avant dernier enfant de Menifa... Une grande complicite regne entre eux... Des la fin des cours la porte ne cesse de sonner, rentrent les enfants de Sinasi, Beto, les cousines a l'ecole a la ville, les cousines eloignees avec qui ont est bonnes copines, la tante et son bebe qui se payent une petite visite... bref, faut pas chercher d'intimite, c'est un mot qui n'existe pas! D'ailleurs, fait marquant, la chambre d'Esra est dote d'un ensemble canape - fauteuils qui sert de deuxieme salon familial, donc pas question de s'enfermer seule dans sa chambre!

Nous sommes immediatement assimilees a la famille et prises sous leur coupe... Lorsque nous visiterons Mardin et ses environs, c'est conduites par l'oncle Tahsin et escortees de tous les jeunes!

La jeunesse kurde, selon Beto et Esra, ne peut rellement avoir de lien en dehors de l'ecole autre que sa famille... une jeune fille ne se montre jamais avec un homme qui n'est pas de la famille. Et les contacts se resument a des coups d'oeil complices... car pas d'intimite ici... tout le monde a son portable mais mieux vaut ne pas laisser trainer un sms ou une photo compromettante dessus! Le collectif prime sur l’individu!

Melange complexe d’etalage de vies et de non-dits… Les liens de famille sont indestructibles : maries jeunes, le divorce est non-existant, et peut conduire a des situations absurdes de couples dechires. Le jeune Fehim a 5 ans et ne connait son pere qu’a travers une photographie aux couleurs passees avec laquelle il parade fierement devant nous.

Un vecu familial de lutte pour l'identite kurde

Au village, nous recevons de nombreux temoignages de luttes et combats pour la reconnaissance de l’identite kurde. Interdit de parler leur langue ou d’ecouter leur musique jusqu’a il y a peu, il s’agit avant tout pour eux de pouvoir exister dans leur mode de vie propre. Lors de trajets entre Kiziltepe et Mardin, nous ressentons la presence spectrale des montagnes qui longent la route, des campements continu de campements militaires en empechant l’acces. Ces “montagnes” sont le foyer de la resistance kurde et tout les hommes du village semblent avoir fait des sejours aux prisons locales…

Nous sentons aussi l’importance de la force masculine, presence virile des hommes, force vive de la resistance identitaire. De ce besoin de survie culturelle decoule la richesse principale pour ce peuple : les enfants!

A notre rencontre avec Sakine, la mere de Sinasi, femme de caractere qui nous intimide quelque peu, nous ressentons sa grande angoisse d’avoir vu son dernier fils partir travailler en Azerbaijan quelques jours auparavat… De ses 7 fils, il ne reste que Sinasi : 2 sont a Istanbul, 3 a Paris et 1 a Bakou.

Mais cette lutte constante pour maintenir l’identite kurde laisse peu de place a l’exterieur et cree un rapport ambigu avec la modernite, qui sert du coup avant tout a conserver sa culture. Un exemple frappant est l’utilisation du satellite. Alors qu’il donne acces a des chaines internationales, cet outil sert ici avant tout dans chaque foyer a diffuser une chaine de musique et de culture exclusivement kurde depuis les Etats-Unis. Ceci exprime bien la necessite pour ces familles de se concentrer et de se replier sur elles-memes pour garder le feu sacre du Kurdistan.

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Famille Cecen, entre tradition et modernite - Istanbul
Rencontre avec Lorraine - Goreme
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Servet et Aiche - Van

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Comments

[farouk]

merci les filles pour cette decription de ma famille, j'en suis fier vraiment qu'elle ait pu s'occuper des hotes comme vous. Merci encore une fois d'être passé par ce pays sans nom, sans frontière et qui n'est que dans nos têtes et nos coeurs.